Leïla Sebbar romancière et nouvelliste

                                                        Journal d'une femme à sa fenêtre  
                                                                          suite 52
                                                                       (juin 2017)






Saint-Pierre d’Oléron, juin 2017.
La maison des aïeules. Pierre Loti
(coll. part.).
Juin 2017 

À Marseille, les « Pieds-noirs ». Zidane, superhéros. Les chrétiens de Qaraqosh en Irak. Le terroriste algérien de Notre-Dame. Wonder Woman. Prix de la baguette Tradition à Khemoussi Mansour, boulanger tunisien. Une femme à barbe enceinte… Retour en Algérie, un documentaire. Les Orangers de la Mitidja, un récit de Héliette Paris. L’île d’Oléron. La maison des aïeules de Pierre Loti. Château d’Oléron. Boyardville. Le phare de Chassiron. Nora Aceval, conteuse, au théâtre de la Vieille Grille à Paris. Simone Veil est morte.


Début juin

Dans le journal Le Monde, une double page sur Marseille « jumelle d’Alger, d’où sont arrivés en 1962 des centaines de milliers de rapatriés d’Algérie… » Jean-Jacques Jordi, sociologue, parle de « Pieds-noirs », « Rapatriés », « Réfugiés », « Repliés ». Il a participé à un collectif publié aux éditions bleu autour, en 2014 : L’enfance des Français d’Algérie.

 

L’enfance des Français d’Algérie, 2014, éd. Bleu autour. Aquarelle de Sébastien Pignon.

Avant de quitter l’Algérie, Jean-Jacques Jordi raconte qu’il avait caché un chariot de cow-boy, pensant qu’il le retrouverait à son retour au pays natal. À propos du terme « Pieds-noirs » que beaucoup de Français d’Algérie qui se considéraient comme « Algériens » avant 1962 rejettent avec force, j’ai lu un article de Xavier Yacono, né à Alger en 1912, historien, essayiste, professeur à l’université d’Alger et de Toulouse : Pourquoi Pieds-noirs ? Il a recensé dix-huit définitions différentes, hypothèses plus ou moins fantaisistes de ce mot « Pied-noir », passé dans l’usage, aujourd’hui, en France. « Pied-noir » figure dans le dictionnaire Le Robert.

Aujourd’hui Zidane sur lequel veillent « les Dieux du football », entre sur le stade en costume-cravate. Zidane, superhéros du stade, a 44 ans, 4 fils, il ressemble à un Dieu romain ou grec de l’Antiquité. Je ne peux plus parler de lui avec mon père, fier d’un Algérien surdoué, gracieux, élégant, discret, mon père heureux comme si Zidane avait appartenu à sa famille…

Des chrétiens reviennent à Qaraqosh au nord de l’Irak, libérée de Daech en octobre 2016, après deux ans d’occupation. Des églises ont été brûlées et transformées en stand de tir. Sur le tableau noir d’une école, des croquis pour fabriquer des armes. Sur les murs des inscriptions en rouge et noir. Les revenants chrétiens repeignent les bancs du square et l’école. Les combattants de Daech ne sont jamais loin.

Notre-Dame, à Paris

Après les bonbonnes de gaz, des coups de couteau sur l’un des policiers en faction devant la cathédrale par un Algérien de 40 ans, résident à l’université de Cergy « soldat du Califat » dit-il aux policiers. Neutralisé, il est hospitalisé. À son domicile, une vidéo d’allégeance à Daech. Un voisin raconte qu’il ressemblait à un instituteur, « veste de toile, jean… » « Insoupçonnable ».

Les défaites territoriales de Daech vont-elles décourager les terroristes ?

La comédienne israélienne du film Wonder Woman, présentée comme modèle de femme libérée et puissante, superhéroïne, a défendu la dernière intervention meurtrière de l’armée israélienne à Gaza. Le film est interdit en Tunisie et plusieurs pays arabes.

Le boulanger de « L’atelier des saveurs », un Tunisien, comme celui de Tolbiac, a obtenu le 2e prix de la meilleure baguette Tradition de Paris et le 4e prix de l’Île-de-France. Il a repris la boulangerie il y a 2 ans environ, après un Chinois. Le boulanger s’appelle Khemoussi Mansour. Il entreprend cet été des travaux et donnera un nouveau nom à son commerce : « Aux délices de Glacière », la rue de la Glacière est à 50 mètres.

 À Bobigny, fondation par Hanan Sahouani d’un nouveau parti, « Français et musulmans », né en 2016 de la scission du parti « Union des démocrates musulmans de France » (UDMF). Ce parti ne serait pas communautariste. Il serait la preuve que Démocratie et Islam sont compatibles.

11 juin

Dans un journal, la photo d’un homme qui montre son ventre de femme enceinte… C’est un transgenre aux USA. Une femme qui a suivi un traitement pour avoir les signes de la masculinité, sauf le sexe. Barbe, poils, muscles… Pas de pénis « la greffe » coûte très cher. Les chirurgiens gagnent des fortunes sur une supercherie. Comme si un sexe féminin pouvait devenir un sexe masculin avec pénis, testicules, sperme… Par quel miracle médical sinon sur des mensonges, du faux cousu main… Des souffrances, des complications. On naît hermaphrodite, on ne le devient pas. Mutilations. Le chemin le plus sûr vers la folie.

Cet homme enceint n’est pas un homme. C’est une femme avec ce qu’il faut pour avoir un enfant. Donc son mari fait ce qu’il faut, c’est possible. Sa partenaire est enceinte avec barbe et moustache. Le couple a adopté deux neveux, un garçon et une fille. Un garçon va naître. Il aura un père et une mère qui se déguise en homme, tout en restant physiologiquement une femme et qui veut avoir encore beaucoup d’enfants… Un nouveau type de mère porteuse ? Les médias font croire qu’un homme peut porter un enfant et accoucher, comme une femme. C’est possible puisque c’est une femme. Information. Manipulation.

13 juin

Au cinéma La Clef à Paris, avec D. pour voir Retour en Algérie. Un documentaire émouvant, d’Emmanuel Audrain qui travaille avec une association d’Anciens Appelés en Algérie, soutenue par Simone Paris de Bollardière, veuve du général de Bollardière qui a dénoncé la torture en Algérie en 1957. C’est Héliette Paris, de la famille de Jules Roy, qui m’en a parlé. J’étais allée la voir pour son livre : Les Orangers de la Mitidja (éd. Publisud, 2015). Un beau récit d’enfance et de guerre, en terre algérienne dans une ferme de la région de Sidi-Moussa où vécurent les écrivains Jules Roy et Jean Pélégri. Héliette Paris va écrire un texte pour le collectif que dirige Martine Mathieu-Job pour les éditions Bleu autour : L’école en Algérie avant 1962 ou À l’école en Algérie coloniale, le titre n’est pas encore décidé. Comme pour les autres collectifs, les auteurs sont nés en Algérie, ils sont : européens, musulmans, juifs… ils sont allés à l’école française. Il y aura une iconographie importante, j’espère. Patrice Rötig, l’éditeur, l’a promis.

Donc, ce documentaire Retour en Algérie fait entendre des appelés qui racontent leur guerre et leur projet, revenir en Algérie pour retrouver et soutenir les Algériens qui le souhaitent. Un film qui devrait être présenté dans les collèges et les lycées en France et en Algérie. J’en parlerai à Alain Segsik, un ami né en Algérie, qui travaille au ministère de l’Éducation Nationale à Paris.

19-23 juin

Avec D. à l’île d’Oléron où repose Pierre Loti, dans « la maison des aïeules ». Pas de visite.

²
Saint-Pierre d’Oléron, juin 2017. La maison des aïeules. Pierre Loti (coll. part.).

À Château d’Oléron

« Le Bazar universel » et des monuments aux morts face à l’Océan. « Le 30 avril 1945, la libération de l’île d’Oléron ». « 19 mars 1962 Fin de la guerre d’Algérie ».

Château d’Oléron, juin 2017 (coll. part.).
L’île d’Oléron, juin 2017 (coll. part.).
Château d’Oléron, juin 2017 (coll. part.).
À l’île d’Oléron. Libération de l’île d’Oléron, avril 1945, juin 2017 (coll. part.).
Libération de l’île d’Oléron, avril 1945, juin 2017 (coll. part.).
Île d’Oléron. Villa : nom en arabe = Alger, juin 2017 (coll. part.).

« Le café de la plage » à Boyardville. Une longue plage et Fort Boyard au loin. Le Fort Boyard de l’émission-téléréalité, la plus abjecte avec celle de Cyril Hanouna.

Et puis, le phare de Chassiron noir et blanc à Saint-Denis-d’Oléron. Je ne sais pas si Gilles le routier, dans Les carnets de Shérazade, celui qui aimait les phares, connaissait ce beau phare au bout de la route entre les pins.

Île d’Oléron, juin 2017 (coll. part.).
Île d’Oléron, Boyardville, Le café de la plage, juin 2017 (coll. part.).

Phare de Chassiron à Saint-Denis-d’Oléron, juin 2017 (coll. part.).

 Marcher le long de la mer. Je trouve chaque fois les coquillages de l’enfance à Port-Say, dans la région de Tlemcen, comme avec mes sœurs Lysel et Danièle et Claudie Mathéo la fille de Milène et Émile, les instituteurs de Port-Say. J’ai revu Claudie à Marseille dans une librairie au début de l’année, je présentais L’Orient est rouge.

24 juin

Au « Théâtre de la Vieille Grille », à Paris. Nora Aceval, mon amie conteuse des Hauts Plateaux, raconte, sur scène, « à voix nue », La science des femmes (éd. Al Manar-Alain Gorius). Des contes libertins qu’elle a recueillis et traduits. Je retrouve la grâce et le charme de Nora. L’humour de ces contes qui disent les ruses des femmes avec finesse et gravité à la fois. Comme les conteuses des Hauts Plateaux, Nora rit, de son beau rire complice.

30 juin

Simone Veil est morte.

J’étais allée la voir, chez elle, dans les années 1980, pour le journal Sans Frontières, je crois. Elle m’avait parlé de Daniel Timsit et d’autres indépendantistes incarcérés dans des prisons et des camps en Algérie. Elle les avait rencontrés lors d’une commission d’enquête durant la guerre de libération. Nadia Bouzeghrane, journaliste, lui rend hommage dans le journal El Watan du 1.07.17.

 


                    

retour à la page d'accueil